Cueillir les talus, glaner les champs, récolter les forêts, moissonner les sous-bois sont des activités qui remontent à nos vieux ancêtres nomades et chasseurs-cueilleurs. On aurait pu penser que l’agriculture aurait rapidement mis fin à ces tâches d’un autre temps. Mais que nenni ! Nous avons, avec bonheur, gardé l’habitude de courir les champs !

Ceci peut historiquement s’expliquer par le fait que, en temps de vache maigre, la nature a toujours été là pour aider le bas peuple à survivre. Comme par exemple ma grand-mère qui me raconte les «tours de jardin» de son enfance permettant de nourrir grâce aux «mauvaises herbes» sa fratrie les jours de disette. Cependant, les temps changent et avec la société d’abondance, l’intérêt pour les plantes sauvages se trouve souvent dans leur originalité gustative ou leur valeur nutritionnelle. En effet, on trouve tout dans les plantes ! Fini le temps où l’on glorifiait la protéine animale, soit disant supérieure à sa cousine végétale : l’ortie contient par exemple des protéines équilibrées en acides aminées (tout comme votre bonne pièce de bœuf dominicale) ; la consoude, quant à elle, est la copine de la vitamine B12 (jusqu’à il n’y a pas très longtemps considérée absente des végétaux).

On trouve tout dans les plantes, disais-je, mais on trouve mieux dans les plantes sauvages ! Une équipe scientifique américaine qui étudiait le mode de nutrition des habitant-e-s des hauts plateaux de Bolivie était restée dubitative devant le menu des autochtones : il ne pouvait mathématiquement pas y avoir assez de sels minéraux et de vitamines pour les nourrir convenablement. Pour comprendre, il suffisait simplement de suivre les indien-ne-s dans leur journée pour s’apercevoir que ceux-ci grignotaient des plantes sauvages à même de leur éviter des carences.

Chez nous, même histoire, on trouve plus de fer dans la menthe sylvestre que dans les épinards, plus de provitamine A dans le pissenlit que dans la carotte de nos potagers, jusqu’à 100 fois plus de vitamine C dans les gratte-culs (cynorrhodons) de l’églantier que dans les oranges ! De quoi faire de jolis pieds de nez aux laboratoires pharmaceutiques et à leur compléments alimentaires d’industrie !

Pensez à la bonne salade de pissenlits ou à la succulente tarte aux mûres sauvages de votre grand-maman !

Même si l’on cueille encore par chez nous, on peut honnêtement observer qu’on a connu récoltes plus vigoureuses. Bien qu’on puisse analyser cela par l’avènement de la société d’abondance et de consommation, il me semble que c’est une vérité un peu rapide.

On considère que la gourmande humanité a utilisé plus de 80000 plantes, algues et autres fougères pour sa soupe. En Europe, cela représente 10% des plantes1, soit environ 1200 espèces. L’agriculture et ses 250 végétaux domestiqués depuis 12000 ans fait pâle figure en comparaison. Et que dire de la trentaine d’espèce qui satisfait 95% des besoins alimentaires de l’humanité ! La cueillette c’est aussi ça, découvrir des autres saveurs et éviter les chemins du goût, standardisés par l’agriculture (et c’est encore plus vrai avec sa variante productiviste actuelle plus soucieuse de la quantité que de la qualité2).

Alors une question : pourquoi ne consommons nous pas plus d’espèces ?

La réponse se trouve sûrement en partie dans les besoins techniques de l’agriculture. Cependant, ceci n’explique pas tout ! En vérité, la fierté de l’être humain est aussi à mettre en cause. De tout temps, les nobles et autres bourgeois ont fait revenir pour leurs soupers des plantes venues des contrées les plus lointaines. Les épices, apanages des plus riches durant des siècles en sont un formidable exemple : «faisons venir du clou de girofle d’Indonésie, notre benoîte urbaine dont la racine a un goût proche ne convient que pour les gueux !». Ce phénomène remonte à fort longtemps mais reste toujours d’actualité. Il est intéressant de voir que de nombreuses mauvaises-herbes, aujourd’hui pulvérisées par les pesticides (ou dans la novlangue agronomique par des «produits de santé du végétal») étaient en effet cultivées par nos ancêtres (du Chénopode blanc retrouvé dans les fours du néolithique à la campanule raiponce, présente dans le catalogue du semancier Vilmorin en 1946).

Je disais donc que les plus riches ont toujours fait importer des plantes d’origine lointaine plutôt que de consommer celles poussant au coin des champs. La bardane par exemple est couramment mangée au Japon alors qu’elle est abandonnée depuis le Moyen-âge par chez nous.

Cet abandon de nos cuisines sauvages, d’abord privilège des dominants, s’est peu à peu répandu dans les autres classes sociales. On peut se demander pourquoi ? Pourquoi avoir peu à peu renié les savoirs et traditions culinaires qui restaient non-marchands ? Parce que, quoi qu’on en dise, la propriété privée sur une touffe d’ortie, moi ça me fait bien rire ! Enfin, ne gloussons pas trop vite quand même, on voit dans les lieux «chics» des traiteurs étoilés les mettre en bocal. La réponse à cet abandon est probablement multiple : une volonté d’oublier la misère, une accélération des rythmes de vie (laissant plus de temps dans sa voiture qu’à cueillir à la fraîche – afin d’en gagner du temps bien sûr !), l’exode rural et la dévalorisation des savoirs paysans. En effet, on peut penser que la perte des savoirs culinaires (mais pas que, linguistique aussi par exemple) est une conséquence directe du reniement d’une certaine conscience de classe et de communauté afin de pouvoir s’identifier aux plus riches, échapper à leur mépris et garder l’espoir d’une pseudo ascension sociale. Ceci étant étroitement mêlé à la transformation de la culture populaire issue de la classe populaire pour celle-ci par une culture de masse fabriquée par l’industrie (culturel, agronomique ou culinaire c’est pareil) ! A cela, une seule solution, réappropriation, dégustation !

Bon, là je vous sens frémir du panier, vous consultez déjà vos cartes à la recherche du bosquet le plus proche afin d’assouvir votre soif de verdure libre ! Alors quelques conseils s’imposent quand même si vous souhaitez partir en cueillette. Tout d’abord, il faut bien évidemment prendre garde aux plantes toxiques, une bonne flore et un peu de pratique ça aide3 (ou tout simplement demander à vos copin-e-s qui savent). De toute manière en cas de doute, abstenez-vous ! Ensuite, il y a toujours le problème des parasites présents sur les plantes, pour les éviter, la cuisson et la cueillette au-dessus du genou est radicale. Enfin, comme on le sait, la nature est déjà affaiblie de toute part, donc on évite de cueillir les espèces rares4 et si vous ne trouvez dans votre champs qu’un individu d’une espèce, admirez le plutôt que de le croquer !

Blaireau

Bibliographie non exhaustive :

Guide des plantes sauvages comestibles et toxiques, Couplan et Styner.

Glaner dans l’Est, Vernier, Degrave et Mathé.

Guide des champignons de France et d’Europe, Courtecuisse et Duhem.

Notes :

  1. Enfin pour être précis, on parle ici des plantes vasculaires : la plupart des végétaux mais pas les algues, mousses et champignons.
  2. On assiste actuellement à une baisse de la diversité en espèces domestiques (végétales et animales). On perd ainsi d’innombrables spécificités génétiques.
  3. Enfin, pas besoin d’être un pro de la botanique pour se régaler, les mûres par exemple, ça se laisse identifier !
  4. On peut trouver une liste des espèces de plantes vasculaires protégées en Picardie sur le site de l’INPN  (inpn.mnhn.fr) ou dans le livre Plante protégées de la région Picardie du conservatoire national botanique de Bailleul (www.cbnbl.org).