Une guerre se mène sur différents fronts et il y a toujours plusieurs combats au sein d’une même bataille. Ainsi le gouvernement Macron, aux ordres de la classe bourgeoise comme ses prédécesseurs, poursuit son offensive en détruisant méthodiquement tout ce qui pourrait constituer un frein à l’enrichissement à court terme de cette classe de parasites. Ces politiques réactionnaires se font donc au détriment des conditions de (sur)vie des masses laborieuses (et accessoirement en tuant purement et simplement notre planète). La loi El Khomri a bien entamé la casse du syndicalisme. L’attaque réussie de 2018 contre le statut des cheminots a en outre mis à mal un des pôles syndicaux considéré comme le plus à même de résister. Il est maintenant question d’achever l’école, le sabotage étant déjà bien engagé tandis que le cas de l’université est quasiment réglé.

L’enseignement, l’éducation et la formation sont aux fondements de tout projet de société ; les libertaires le savent bien. Les capitalistes aussi. Par conséquent il est évident que développer un système scolaire défendant l’émancipation et l’autonomie individuelle et la force du collectif est aux antipodes du mortifère projet capitaliste. L’assaut conduit par l’administration Macron-Blanquer se fait donc à plusieurs niveaux. La précarisation accrue des enseignants passe notamment par une augmentation du recours à la contractualisation et conséquemment par la baisse de la titularisation des professeurs dans la logique de sape du service public. Parallèlement la formation des enseignants, dispensée dans les ESPÉ, ne tend pas à former des personnels doués d’un esprit un tant soit peu critique, mais bien à les formater pour qu’ils véhiculent à leur tour des contenus en adéquation avec la pensée dominante (en ce sens, les programmes des Sciences économiques et sociales en lycée général sont marqués par l’évacuation de toute pensée sociale critique, ce qui correspond parfaitement à la logique générale du néolibéralisme). Le pouvoir espère ainsi s’assurer dans un avenir proche une résistance amoindrie du corps enseignant face aux (contre-)réformes libérales qu’ils imposent déjà dans les programmes comme dans les modalités d’exercice du métier d’enseignant (flexibilité avant tout, et avec le petit doigt sur la couture du pantalon).

Sur le fond, c’est la disparition progressive, à l’école, des notes au profit d’un système ubuesque d’évaluation par compétences qui constitue un des points saillants des changements actuels. Cela interpelle d’autant plus en lycées professionnels, établissements ayant pour vocation la production rapide et à moindre coût d’une main d’œuvre jeune plus ou moins qualifiée. En effet, l’obtention d’un diplôme est inhérente à l’attribution de notes, qu’elles relèvent d’un contrôle continu ou d’un examen final. Et selon certaines conventions collectives (dont, entre autres, celle des ouvriers du bâtiment) les coefficients hiérarchiques des salaires sont liés soit à l’expérience soit à l’obtention d’un diplôme qui valide une formation professionnelle reconnue. Autant dire, à l’aune des coups portés contre le droit du travail, qu’il y a un risque majeur de mutation de ce système notes – diplôme – convention collective – salaire en une formule qui obligera le travailleur, muni de ses seuls blocs de compétences individualisées, à négocier un contrat avec son patron, isolé, en dehors de toute protection collective.

À ceci s’ajoutent la réduction du nombre d’heures de cours en lycée professionnel (ce qui induit moins de connaissances transmises, autant dans les matières générales que dans celles de spécialités) et la transformation de la seconde, jusqu’à présent déjà spécialisée, en une seconde de découverte par pôle d’activités. Par exemple, dans les établissements orientés métiers du bâtiment, les élèves de seconde devront passer successivement par les ateliers maçonnerie, métallerie, menuiserie, peinture, couverture, etc. avant de choisir leur filière en fin d’année. Cela aura une double incidence. Tout d’abord, en cas d’erreur d’orientation, un changement sera d’autant plus difficile s’il survient en classe de première. Ensuite la formation professionnelle sera encore amputée d’un an, si l’on se réfère à ce qui était en vigueur avant 2009, et la fumeuse réforme Darcos, à savoir un cursus en quatre ans (deux ans pour parvenir à un premier diplôme (BEP ou CAP), puis deux années supplémentaires pour obtenir le bac pro). Faudra-t-il attendre l’effondrement meurtrier de quelques constructions en France et en Navarre pour se poser la question de l’utilité de bien former les ouvriers ?

Fabriquer exclusivement des professeurs muselés ou serviles et produire des ouvriers à usage unique ne sont pas des options envisageables au vu des enjeux, notamment écologiques, à venir. Comme l’énonçaient les statuts de la première Internationale, l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. C’est pourquoi il est nécessaire, afin de contrecarrer les funestes desseins du néolibéralisme, d’œuvrer sans concession pour une réappropriation collective des moyens de production, y compris du service public de l’enseignement et de la formation professionnelle. Pour ce faire, une grève générale sérieuse constituerait le début d’une contre-offensive efficace en vue d’instaurer une société dont l’émancipation par l’éducation serait un des piliers fondateurs.

Bernoine