Il aura suffit d’une élection municipale pour consacrer le tramway et en faire un serpent de mer du débat public amiénois. Passera-t-il ou ne passera-t-il pas ?
Alternative à la voiture et à la pollution de l’air pour certains, gouffre financier et projet inutile pour d’autres, le tramway a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps dans notre cité. D’ailleurs il est drôle de constater que la droite amiénoise en a fait quasiment son seul cheval de bataille comme en témoigne leur argument d’une grande profondeur politique, le « trop d’impôts ». Ils ont été les premiers à lancer cette piste et pourtant ce sont bien eux, sous le mandat De Robien, qui ont plombé le budget municipal (entraînant une hausse des impôts non négligeable) avec l’opération « Ville en travaux ». Paraît-il qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis !

Au-delà des réjouissances politicardes, arbre qui cache comme bien souvent la forêt, le tramway est symptomatique des mutations que connaît notre ville, à l’image de nombreuses villes en France et dans le monde.
L’un des buts principaux de ce nouveau mode de transport est le gain de temps, la réduction des distances. Au premier rang sont concernés les gens qui n’ont pas beaucoup de temps et qui cherchent à en perdre le moins possible : les salariés.

Cette affirmation appelle une petite explication…
Depuis plusieurs années, le paysage social des villes évoluent et il suffit pour s’en convaincre, de regarder les bâtiments et les aménagements des espaces publics : à Amiens, le centre-ville s’est piétonnisé avec des espaces dédiés à la détente (Place Gambetta notamment), les façades ont été rénovées. Cette embellie de façade ne se cantonne pas qu’au coeur de ville commerçant, les quartiers autour connaissent depuis plusieurs années cette évolution : Saint Leu, Quartier de la gare, Saint Roch, Saint Maurice.
Ce phénomène est à mettre en rapport avec les populations qui vivent dans ces espaces. Les prix de l’immobilier en hausse forte ces dernières décennies montrent que beaucoup plus de gens s’intéressent à une vie de centre ville (proximité des commerces, des administrations, des nœuds de transport type gare ferroviaire et routière) plus pratique et en apparence plus confortable.

La conséquence logique de cette pression démographique est que les gens qui ont les moyens s’accaparent le centre et sa périphérie (en accédant à la propriété ou en assumant un loyer plus cher). De l’autre côté, les gens plus modeste sont relégués à la périphérie des villes (forcément dans des endroits qui profitent moins des largesses des élus en terme de réhabilitation). Parions sans trop d’audace qu’Amiens-Nord deviendra un quartier particulièrement attractif dans les décennies à venir, au vu de sa proximité avec le centre-ville et de la construction du nouveau campus de la Citadelle.
En clair, il s’agit de ségrégation spatiale : les plus pauvres à l’écart hors des beaux paysages « façon carte postale » du centre. Et c’est là où le tramway prend tout son sens. Les commerces, les entreprises, les établissements publics du centre ont besoin d’une main d’oeuvre plus ou moins modeste. Le tramway permet justement d’amener cette main d’œuvre corvéable et rejetée aux périphéries, rapidement à toute heure du jour (ce qui prend tout son sens face à la flexibilité horaire en développement dans le monde du travail).

Bref, le tram (ça fait plus chic !) n’est qu’un aménagement de la précarité croissante des populations des villes. Il nous montre à quel point les inégalités se creusent, et surtout à quel point les élites politiques se soucient bien plus des « nécessités » de l’économie capitaliste que du bien-être réel des individus.

Sitting-Boule