Militer dans les lycées peut sembler complexe. Face aux risques d’exclusions, à l’absence de collectifs organisés et la dépolitisation, nous pourrions nous dire que les lycées ne bougeront plus comme au temps du CPE. J’ai pu croire, l’an dernier, que nos blocus (souvent ratés) contre parcoursup’ étaient le summum de notre puissance de feu. Je me suis trompé.

Les flics ont du être soulagés de voir arriver les vacances scolaires…

Depuis début octobre, dans les lycées, le mouvement social est revenu d’entre les morts avec la rage au ventre. À la manifestation du 9 octobre contre la politique social du gouvernement, un petit cortège lycéen s’est formé, avec sa banderole, ses drapeaux noirs et sa sono. Les jeunes anars sont venu.e.s accoler leurs banderoles à celles des « Pinel en lutte » en tête de la marche. Malgré les manœuvres du camion de la CGT pour casser cette convergence, lycéen.ne.s et grévistes ont scandé ensemble « hôpital en souffrance » jusqu’à la fin. Le 12 octobre (deux jours plus tard), suite à un appel qui tournait sur snapchat, sans chefs ni préparation, un mouvement de foule s’est élancé à l’assaut de la Cité Scolaire d’Amiens vers 8h00. Un bloc compact de 200 à 300 lycéen.ne.s s’est mis à entasser du matériel de chantier devant la Cité Scolaire et une manifestation sauvage est partie vers la Providence. En chemin, quelques personnes, en grimpant dans la remorque d’un camion, ont trouvé un bidon d’essence. Il a tout de suite été vidé sur la route et son contenu enflammé. En plus du feu, des projectiles ont été lancés sur les flics. Le cortège s’est barré en courant, pour finir dispersé au lycée Robert de Luzarches. Le 13 octobre, avec l’énergie de la veille, un autre blocus a été lancé à la Cité Scolaire. Bien entendu, les flics étaient venus nombreux et de fait, la manif’ sauvage a pu parcourir beaucoup moins d’espace avant d’être bloquée de tous côtés. Le lundi 16 octobre, c’était au tour du lycée Delambre-Montaigne de bloquer et de réduire en cendres fumantes toutes ses poubelles des environs. Le jeudi 19 octobre, les élèves de la Hotoie prenaient le relais pour paralyser leur lycée malgré la présence de nombreux fourgons de police.

« et je veux plus te revoir dans des blocus, hein »

Il y a eu des arrestations lors de chacun de ces blocus. Certaines pour de simples « vérifications d’identité », procédure permettant de faire passer 4h au poste à quelqu’un juste parce qu’i.elle n’a pas ses papiers, bien pratique pour mettre la pression sur des jeunes trop agité.e.s. Il y a également eu de vraies gardes à vue, parfois quelques jours après les blocus. Les prétendu.e.s « organisat.eur.rice.s » et des élèves suspecté.e.s d’actions illégales lors de ces journées ont été retrouvé.e.s par la police (notamment à cause des réseaux sociaux). Quatre gardé.e.s à vue pour la Cité Scolaire, deux pour la Hotoie et trois pour Delambre-Montaigne. Quand cela a été possible, des groupes se sont mis devant le comico pour entonner l’habituel « libérez nos camarades ». Les suites judiciaires ne sont pas connues à l’heure de la rédaction de cet article. De manière plus globale, la présence policière s’est démultipliée par rapport aux mouvements de l’an dernier. Là où nous avions d’habitude quelques RG et des motards plutôt pacifiques, nous avons vu arriver, cette fois, un nombre délirant de fourgons chargés de keufs près à tout pour tuer dans l’œuf le mouvement naissant. Il y a eu des charges de flics, des gaz, des coups de matraques, des techniques d’encerclement et de dispersion, des fouilles (avec doigt dans le cul), les RG ont pris des vidéos et des photos des gens attrapés (un drapeau noir a même été confisqué après photo). Une répression bien excessive pour quelques blocus et un peu de feu sur la route.

La perspective libertaire

Ces mouvements ont reçu peu de soutien, on s’en est beaucoup moqué. Pourquoi ? Des modes d’actions jugés trop violents et des revendications considérées comme ridicules (les blocus de la Cité Scolaire ont eu lieu parce que les élèves se plaignaient de leurs emplois du temps avec trop de 8h-18h). On a décrié les habituels « fouteurs de merde » qui ne veulent pas aller en cours. Dans une perspective libertaire et révolutionnaire, il me semble qu’il faut au contraire les voir d’un très bon œil. Tout d’abord, le refus du travail est une vraie revendication et celui de se soumettre à l’institution scolaire qui les prépare de force à leur future exploitation salariale me paraissent très cohérents*. L’éducation bourgeoise sert à trier la future main-d’œuvre du Capital. Dans le discours, elle serait garante de l’égalité, dans les faits, elle est un élément indispensable à la reproduction de la société de classes. Ensuite, si chacun.ne rentrait chez soi, oui, ce serait de la paresse, mais si tou.te.s s’unissent pour semer le chaos, ça devient de la révolte.

L’absence de revendications claires ne me semble pas être un mal. Si au lieu de gueuler contre telle ou telle réforme pourrie (sans laquelle la vie au lycée restera dénuée de sens), le mouvement lycéen en arrive à bloquer, juste pour ne pas aller en cours ou juste par pure révolte, n’est-ce pas à voir avec sympathie ? Ce n’est pas politisé, certes, mais c’est plus révolutionnaire que les mouvements de l’an passé. Cela nous permet de voir ce que devient la lutte quand les bloqueur.se.s ne sont pas tenu.e.s en laisse par des organisations hiérarchiques et bureaucratiques comme l’UNL ou la JC. Nous pourrions râler parce qu’il n’y a pas de collectif organisé. Nous pouvons aussi nous dire que c’est une grande chance d’avoir un mouvement fort, spontané, sans chefs ni organisations bureaucratiques derrière. Quant aux concepts politiques, nous pouvons contribuer à leur diffusion chez les lycéen.ne.s. Le refus du travail et de l’autorité, la révolte pure, sont des idées fondamentalement anarchistes.

Alcibiade

*Bien entendu, dans l’immédiat, il faut défendre l’éducation publique, qui sera toujours milles fois meilleure que ce qu’on nous prépare. Mais elle reste insuffisante, et à terme, une éducation digne de ce nom, réellement égalitaire, ne peut naître que d’un processus révolutionnaire, de l’abolition des classes.