Nous notons de plus en plus de dispositifs de contrôle au sein des établissements scolaires et dans l’espace public en général. Parallèlement, les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan ne causent plus, actuellement, le même capharnaüm dans l’esprit de la population qu’il y a deux ans. L’oubli a, de manière générale, fait son travail et chacun.e a repris son petit bout de chemin. Ce calme revenu profite à l’État, l’autorité souveraine ayant le pouvoir de la violence légitime. Revenons quelque peu en arrière, les attentats de janvier 2015 se déclenchent et peu à peu s’installe l’idée d’instaurer l’état d’urgence qui finalement advient en novembre. Quoi de plus facile que de s’engager dans cette brèche pour renforcer son pouvoir ? La majorité de la population est sous le choc, l’attentat est énorme par son nombre de victimes. Et deux ans plus tard, presque jour pour jour, l’état d’urgence s’arrête pour voir ses principales dispositions entrer dans le droit commun sous l’impulsion d’un pouvoir néolibéral. L’état d’urgence est mort, vive l’état d’urgence ! Mais en quoi cette « sécurité » profite à l’État ?

Des explications, pas des excuses

Les dispositions de l’état d’urgence offrent au pouvoir exécutif l’accès à des pouvoirs judiciaires. Pour nous, anarcho-syndicalistes, qui militons pour une société libre, égalitaire et autogérée, passer d’une « démocratie représentative » reposant sur la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) à un entremêlement débouchant sur un État de plus en plus centralisé et autoritaire, est inacceptable. Pourtant, l’instauration de l’état d’urgence est présentée comme tout à fait logique à la suite des attaques de novembre 2015. Les intérêts des classes dominantes ne se tournent alors pas vers la résolution des causes sociales et économiques des problèmes car cela reviendrait à remettre en question l’existence même des rapports de domination qui les fondent en tant que telles. « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » disait explicitement Manuel Valls en janvier 2016 quelques semaines après les attentats rejetant alors « ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé ». Ainsi peu importe les raisons de ce qu’on appelle aujourd’hui le terrorisme, peu importe le fait que l’Occident bombarde le Moyen-Orient, peu importe les rapports économiques qui régissent les guerres et peu importe les politiques néolibérales qui depuis les années 1980 accentuent les inégalités en Europe. Quand on renonce à s’attaquer aux déterminants sociaux et économiques du terrorisme, l’autre branche de l’alternative est le contrôle des populations. Alors, l’État « sécurise ».

Vers une société de contrôle

Les perquisitions et assignations à résidence massives dès la proclamation de l’état d’urgence en novembre 2015 en témoignent. Quand la surveillance abusive ne vire pas à la répression arbitraire au sein de certains groupes ou classes sociales (musulman.e.s, habitant.e.s de quartiers populaires, militant.e.s d’extrême gauche), elle se traduit par des restrictions de notre liberté de circulation. Du personnel de sécurité est présent à l’entrée de nombreux lieux publics et contrôlent le contenu de nos sacs, la vidéo-surveillance dans les espaces publics ne fait qu’augmenter (1257 caméras à Nice en 2016 soit une pour moins de 300 habitant.e.s, 95 à Amiens en 2017, soit une pour 1400 habitant.e.s). Des palpations sont systématiques pour accéder à certains événements, et peuvent être effectuées n’importe quand (donc au faciès) dans les « zones de protection » définies par les préfets. Ces pratiques déjà répandues dans les quartiers populaires se voient ainsi légitimées et généralisées à plus grande échelle. En plus des désagréments immédiats que cela entraîne au quotidien, cette surveillance s’accompagne d’un traçage, toute information devient bonne à conserver : déplacements, télécommunications, usages d’internet, transactions par carte bancaire, etc.

Nous sommes dans une farce grotesque qui permet d’instaurer une société de contrôle et d’anéantir les libertés de la population. L’État, garant du capitalisme, joue sur les rapports de domination en étendant légalement ses forces armées dans les rues pour la « protection » de tous tandis que vigipirate n’en finit plus de rougir depuis les années 1990. La propagande tourne à plein régime. Les séries télévisées et les émissions d’information représentent le flic en héros. Les appels de recrutement pour l’armée sont tournés comme des bandes annonces de jeux vidéos et diffusés en boucles sur les chaînes TV jeunesse. Tout ceci, ainsi que l’idéologie capitaliste néolibérale présentée comme une évidence au sein des discours dominants conditionnent les dominé.e.s à être fidèles à cette société de plus en plus autoritaire. Ce conditionnement permet l’accroissement des inégalités et la concentration du pouvoir. Outre l’État, ce contrôle de la population est bénéfique au Capital. Les salarié.e.s sont aliéné.e.s à leur travail, le champ médiatique soumis à la concurrence économique perpétue cet emprisonnement, l’absence d’éducation politique endort tout éveil d’esprit critique. L’état d’urgence permet donc, par le renforcement du contrôle sous couvert de sécurité, de perpétuer l’exploitation des classes dominées.

Cet articulation de l’État et du Capital fait système et n’est pas qu’une vue de l’esprit mais s’incarne dans des individus et des entreprises : que ce soit Serge Dassault fort d’une carrière politique de presque cinquante ans, patron du Figaro et du Groupe Dassault, industrie de l’armement à l’échelle internationale ou encore Martin Bouygues ou Vincent Bolloré, patrons de presse, d’entreprises de télécommunication, du bâtiments qui poursuivent l’exploitation jusque dans les anciennes colonies françaises avec l’appui solide de l’État.


Une autre lecture du problème

En tant qu’anarcho-syndicalistes, il est important pour nous de défendre le droit des exploité.e.s face aux exploiteurs, de leur proposer une autre grille de lecture que celle d’une société reposant sur un système d’aliénation et de domination. De ce point de vue, l’État est le plus grand des terroristes. La définition officielle, donc étatique, du terrorisme est peu ambiguë, elle repose sur des actes de violence motivés politiquement et commis par des groupes non-étatiques. Les anarchistes ont été étiquetés de terroristes au XIXème siècle alors qu’en parallèle, le capitalisme faisait plus de morts que jamais et tue encore aujourd’hui. Comment définir l’État lorsqu’il a le pouvoir d’assigner des opposants politiques à résidence sur une simple information des services de renseignements ? Ou lorsque ses policier.ère.s chargent sur des manifestant.e.s non armé.e.s, mutilent, violent ou tuent des civils ? Ou quand ses armées néo-coloniales font des « victimes collatérales » lors de « frappes chirurgicales » ?

Au-delà des libertaires, n’importe qui prenant le mot démocratie au sérieux devrait rejoindre cette lecture. La réponse au terrorisme n’est pas le basculement vers l’autoritarisme. Elle est sociale et économique, elle repose sur une réappropriation du processus de production et de la gestion de ses fruits. Un roman d’anticipation comme 1984 de George Orwell est suffisamment présent dans nos esprits pour savoir ce que signifie un État puissant et une société du tout sécuritaire dans laquelle « vidéo-surveillance » devient « vidéo-protection », quand les armes de la police sont des « lanceurs de balles de défense », quand le management devient participatif et synonyme d’auto-exploitation, quand les cotisations sociales sont des « charges » à alléger, quand les plans de licenciement deviennent des « plans de sauvegarde de l’emploi », les grèves, des « prises d’otages », quand précarité devient « flexi-sécurité », etc.

Pour finir, citons les mots d’un proviseur d’un lycée d’Amiens se justifiant maladroitement de l’installation de tourniquets de sécurité à badge pour les piétons et véhicules et de la « surveillance par vidéo-protection » : « nous avons des craintes de voitures piégées et le climat nous l’impose, il faut rassurer les parents d’élèves, mais c’est vrai que si quelqu’un veut rentrer, il rentrera, en fait ces mesures ne valent que pour 99,99% des gens normaux ».
Alors pour éviter que les enfants ayant grandi dans une telle société ne deviennent flics, militaires ou autres crânes rasés, il est plus que temps de réactiver la solidarité entre les travailleur.euse.s dans le cadre d’une organisation de masse luttant pour la construction d’une société collective libertaire, égalitaire et autogérée.

Le comité de rédaction du Poing