La vision de mille vaches sans prairie persiste, tandis que le train des idées illusoires de la gauche tourne en rond entre retour au protectionnisme, nationalisation des banques, allocation universelle sous-tendue par la croissance présupposée incessante du PIB…
Loin de ces visions sophistiquées et audacieusement téméraires, il est possible d’affirmer que la re-définition du travail (« moyen de » ou fin en soi) est un enjeu social majeur et que cette affaire est largement évacuée par la plupart des formations politiques actuelles, qu’elles soient partisanes, syndicales ou associatives.
Pourtant ce n’est pas la littérature, parfois laborieuse, qui manque à ce sujet.
Fort heureusement, en contrepartie, les textes traitant de l’oisiveté, antithèse trop peu célébrée du travail, sont souvent (et nécessairement ?) courts.
Parmi ces essais, il en est un qui nous tient particulièrement à cœur, plein de vertus prophylactiques (tout comme La Zone Autonome Périodique, 1991, d’Hakim Bey), et qui renforce nos moyens défensifs dans l’exercice contraint de nos salariats. Paru en 1932 l’Eloge de l’Oisiveté de Bertrand Russell est court, limpide, toujours contemporain, et plein d’humour. Il y est question de chômage et d’emploi, mais aussi de guerre (14-18), de tramway et d’université. Sans hâte mais sûrement, le décor est posé : « Et d’abord, qu’est ce que le travail ? Il existe deux types de travail : le premier consiste à déplacer une certaine quantité de matière se trouvant à la surface de la terre, ou dans le sol même ; le second, à dire à quelqu’un d’autre de le faire. Le premier type de travail est désagréable et mal payé ; le second est agréable et très bien payé. Le second travail peut s’étendre de façon illimitée : il y a non seulement ceux qui donnent des ordres, mais aussi ceux qui donnent des conseils sur le genre d’ordres à donner. Normalement, deux sortes de conseils sont donnés simultanément par deux groupes organisés : c’est ce qu’on appelle la politique. Il n’est pas nécessaire pour accomplir ce type de travail de posséder des connaissances dans le domaine où l’on dispense des conseils : ce qu’il faut par contre, c’est maîtriser l’art de persuader par la parole et par l’écrit, c’est-à-dire l’art de la publicité. ». Et Russell poursuit : « Le loisir est indispensable à la civilisation, et, jadis, le loisir d’un petit nombre n’était possible que grâce au labeur du grand nombre. Mais ce labeur avait de la valeur, non parce que le travail est une bonne chose, mais parce que le loisir est une bonne chose. Grâce à la technique moderne il serait possible de répartir le loisir de façon équitable sans porter préjudice à la civilisation. », notant, au passage : « Être industrieux, sobre, disposé à travailler dur pour des avantages lointains, tout cela revient sur le tapis, même la soumission à l’autorité. D’ailleurs, l’autorité représente toujours la volonté du Maître de l’Univers, lequel, toutefois, est maintenant connu sous le nom de Matérialisme Dialectique. ».
Trente petites pages pour se purger l’esprit ! Trente pages rédigées à une époque où tout pouvait basculer, d’un côté comme de l’autre, et qui permettent maintenant de respirer profondément, de s’extraire quelques instants du chaos ultra-libéral pour appréhender, ensuite, avec sérénité, afin de mieux les désamorcer, les mutations radicales que le patronat impose au statut de salarié, achevant de faire du travail une aliénation pensée comme indépassable tant à la droite du Capital qu’à sa gauche.
Fin de la bande-annonce, rendez-vous chez votre libraire préféré, puis au bord de l’eau ou à l’ombre d’un tilleul argenté, pour jouir immédiatement et sans entrave du farniente.
Bernoine