Péché mortel selon la religion, la paresse souffre d’une connotation très négative. Aujourd’hui alors que nous vivons dans une société du chiffre, et où l’artisanat est remplacé par un travail dépossédé de toute émancipation, il est très mal vu de ne pas s’occuper, de laisser du temps au temps, d’être libre de toute pression professionnelle et sociétale.
Contraint par une liste d’objectifs professionnels et culturels inatteignables, le corps est devenu une machine-outil dont le seul but est de produire plus en moins de temps, par une succession de tâches simplifiées à l’extrême.
Par ses objectifs, notre société actuelle voudrait que notre corps soit séduisant et performant au-delà de toute limite, pour le compte d’une minorité gâtée. L’obsession de survivre grâce à un patron fournisseur d’indemnités empêche toute réflexion nouvelle et nie l’être, en désorganisant son rapport au collectif. Ainsi, lorsque j’ai été finalement licencié en 2013 suite à sept mois de chantage, de promesses et de menaces, alors que moralement j’étais au plus bas, j’aspirais à retrouver du travail, quitte à défendre le système et à accuser injustement mes semblables de déserteurs. Ma précarité financière ainsi que la mise en danger de ma position sociétale m’obligeaient à défendre ce même système pour pouvoir retrouver ma place de salarié. Pour paraphraser Achille Mbembe, pris dans l’urgence de la situation, j’étais alors « un esclave en recherche d’un nouveau maître ».
De manière systématique, aliéné par le travail et sollicité par toute forme de consommation, nous sommes actuellement des pions soumis à la volonté de quelques entreprises créant ici et là des besoins superflus.
L’urgence d’un besoin de consommation ou de fausse sécurité prends alors le pas sur la réflexion, qui est le moteur de toute action.
Cette urgence se répercute sur notre corps lui-même. Qui n’est jamais parti au boulot en étant malade et stressé ? Nos membres affaiblis sont alors cachés, étouffés et ignorés quand ils ne correspondent pas aux normes sociétales. Derrière cette asphyxie annoncée, le temps de paresse apparaît comme un espace de liberté qui est une occasion unique et légitime de renouer contact avec notre corps. Un corps qui n’est plus alors une vulgaire machine mais redevient une enveloppe charnelle avec ses besoins et ses désirs, son envie de repos et son envie de soleil.
Gaston Lagaffe, figure emblématique de la paresse, se soustrait de lui-même à un travail impératif et urgent, le courrier en retard, pour mieux réinventer le monde et se l’approprier. Il apparaît aux yeux de tous comme un paresseux et un doux fainéant. Ce serait oublier l’ensemble de ses inventions géniales et complexes qui ré-enchantent le monde. Sa retraite méditative agit comme un contraste nécessaire avec l’urgence du monde qui tente de zapper toute réflexion et toute action non rémunératrice.
Lorsque le temps n’a plus sa place, il est alors complexe de s’émanciper. La paresse survient comme une bouée de sauvetage, libérés de toute suscitation extérieure on peut enfin se reposer. La paresse est donc un précurseur à la libération de l’être humain en lui donnant un temps des possibles. Car libéré de toute pollution extérieure, l’esprit vagabonde et tend à s’émerveiller du monde qui l’entoure. De cette contemplation naitra notre envie de futur ainsi que les moyens d’y parvenir. S’arrêter de produire pour réfléchir et échanger sur notre environnement revient donc par effet miroir à mieux se connaître, connaître ce «_nous_» qui reste à imaginer. Pour mieux remettre en cause nos perceptions sociales et les valeurs judéo-chrétiennes dont nous sommes, malgré nous, imprégnés (comme l’abnégation au travail), nous avons besoin de temps. Cette libération est alors un véritable préambule au bonheur, car pour vivre heureux, il est nécessaire de se connaître et de pouvoir s’imaginer.
La paresse est la plus douce des révolutions intimes.
Tapator