La tribu dite « de l’ovin » fut bien vite tuée dans l’œuf. Si bien qu’on ne chercha pas à la nommer autrement. Nomades et désireux de savoir si l’herbe était bel et bien plus verte de l’autre côté, les Ovins décidèrent de traverser le moutonneux océan à la nage. Tous gagnés par un étrange complexe d’Œdipe, ils plongèrent dans la mer en suivant le père qui leur bêlait de nager tantôt à droite, tantôt à gauche, souvent à droite, rarement à gauche, de plonger, souvent, de remonter, rarement. Les plus faibles beuglaient, glougloutaient, beuglaient derechef (qui l’était, en effet), gesticulaient, brassaient la flotte, touillaient, coulaient, bullaient et touillaient encore cette insondable mouise.
Tous commencèrent à se faire un sang d’ancre. Ce qui, il faut le dire, ne les aida pas.
Le chef éructait ses ordres, tout en scrutant les âmes jaillir des corps pour retourner dans leur enclos respectif. Quand ledit chef fut happé par le tréfonds, le sous-chef prit la peine de récupérer la coiffe. D’autres périrent dans l’entreprise… et avec quelles manières ! Grands gestes, grands cris, grandes bulles bousculant les poissons.
A droite toute ! Cohésion avant tout ! Si bien qu’ils revenaient souvent sur leurs brasses.
Et le sous-chef coula, vidé de ses forces comme une minable poiscaille. Même dans l’adversité, un sourire de requin s’étalait sur sa face. Le sourire d’un requin fut d’ailleurs la dernière chose qu’il vit. Ironique miroir.
La coiffe fut sauvée de la noyade et ceignit une tête qui décida de poursuivre l’effort par désir de cohérence politique.
Et glou.
Et glou.
L’ultime survivant fut bien désappointé lorsqu’il remarqua sa solitude. Au-dessus, les mouettes s’esclaffaient – où, en d’autres termes, se foutaient royalement de sa gueule : il régnerait, certes, mais sur lui-même. Il comprit bien des choses à cet instant, il était cependant trop tard.
Et glou.
C’est ainsi que disparut cette tribu. Seule la coiffe flotta jusqu’à ces rivages éloignés tant convoités où l’herbe, bientôt, ne pousserait plus.

Achéron