Va montrer ton film partout… Que les gens voient comment les ouvriers se battent et meurent ici… et surtout qu’ils voient qu’on est unis et qu’on ne cédera pas.

Un homme est mort, Etienne Davodeau et Kris

Il y a des œuvres emboîtées qui n’en finissent plus de s’écrire. Ces histoires et ces mots qui ré-sonnent dans nos vies et nos luttes, de jours en jours, et d’an-nées en années. « Un homme est mort » en est l’une d’elles. Depuis1941 et bien avant, cette sentence protéiforme nous suit comme un spectre qui nous hante.

1941, Gabriel Péri, journaliste, membre du PCF est abattu par le nazisme au mont Valérien.

1945, Paul Eluard écrit un poème[1] en hommage au martyr commençant par : « Un homme est mort ». C’est un poème qui parle de Gabriel Péri, mais qui parle aussi de nous et de nos vies. C’est un poème qui résonne en nous.

1950, Brest, détruite intégralement au cours de la guerre, est un vaste chantier. Des milliers d’ouvrier-e-s œuvrent, sous-payé-e-s et exploité-e-s par un arrogant patronat, pour reconstruire la ville. La grève générale éclate, les travailleurs descendent dans la rue, déterminés.

Le 17 avril, la police du capital tire sur la foule, blessant vingt personnes et tuant un homme : Edouard Mazé.

René Vautier[2] est un réalisateur communiste recherché alors par la police pour son film anticolonialiste « Afrique 50 ». Il arrive clandestinement à Brest le lendemain pour filmer les événements. De ces images sortira un court film qu’il projette partout, de piquets de grève en villages, d’assemblées générales en réunions syndicales. Improvisant, avec ses deux acolytes, militants à la CGT, des cinémas de fortune : un drap blanc et un mur pour raconter ce qu’il se passe vraiment à Brest.

Dans les conditions matérielles de l’époque, Vautier n’ayant pas pu enregistrer de son, décide d’utiliser « Un homme est mort » d’Eluard pour accompagner son film. Poème qu’il lira souvent lui-même lors des projections et qu’il se ré-appropriera, avec ses camarades, au fil de la route, des jours et des projections.

Cette histoire, racontée en 2006 par Kris dans la bande dessinée « Un homme est mort »[3] et illustrée parle crayon d’Étienne Davodeau, vient de 1950 pour nous parler d’aujourd’hui. Cet album montre la solidarité de l’époque, mais aussi la digne rage du peuple face à la répression de l’État et du capital.

Cette digne rage, toujours la même, qui nous enserre le cœur et la gorge lorsque, la justice bourgeoise ne suffisant plus pour mettre à bas le mouvement social, l’État et sa police tuent l’un ou l’une d’entre nous, militant-e ou non, français-e ou non.

« L’un-e d’entre nous est mort-e » phrase qui vole de lèvres en lèvres, d’années en années, de Brest à Sivens[4], de 1941 à 2014… Phrase que l’on n’oubliera jamais avoir entendue et dite.

Blaireau

Note : Ce texte ne constitue en rien un acte de complaisance envers Paul Eluard, auteur de « Ode à Staline » (1950) ainsi qu’envers les autres staliniens et léninistes d’hier et d’aujourd’hui ; le bolchevisme a aussi tué nos camarades.

1 : Paul Eluard, Gabriel Péri, recueil Au rendez-vous allemand (1945)

2 : réalisateur et scénariste (notamment Avoir vingt ans dans les Aurès), résistant, militant du PCF et participant aux groupes Medvekine (collectifs cinéastes-ouvriers). René Vautier nous a quitté le 4 janvier 2015.

3 : disponible à la bibliothèque municipale d’Amiens, courez-y !

4 : Rémi Fraisse, militant écologiste présent à la manifestation contre le barrage de Sivens du 25 et 26 octobre 2014, est mort, tué par une grenade lancée par un gendarme