La signature du traité de Lisbonne, fin 2007, a mis à nu l’inanité des démocraties européennes. Plutôt que de taxer les nantis afin de financer leurs dépenses publiques, les gouvernements ont choisi de s’endetter, se mettant ainsi sous la coupe, donc aux ordres, des marchés financiers. L’emprise de ceux-ci est cauchemardesque comme le révèle l’exemple grec. De la falsification des chiffres du budget national 2009 par un nervi du FMI au volte-face tellement prévisible de Syriza après sa victoire électorale, tout concourt au maintien de l’anomie sociale et à la tyrannie du capitalisme.

Les lois Macron et Rebsamen s’inscrivent également dans la continuité des politiques néo-libérales mises en œuvre dès les années 1980. Il n’est même plus question d’essayer de faire adhérer le citoyen à ces décisions en lui vendant un progrès illusoire : le temps est à la gestion de crise comme technique de gouvernement, et le nouveau parfum à la mode s’appelle « 49-3 ».
Ce capitalisme post-démocratique marque dans le béton armé l’inutilité consommée des partis politiques. Quant au monde associatif, tributaire des subventions d’état, il agonise, pendant que les collectifs qui fleurissent dans le sillage des structures partisanes moribondes font preuve d’une efficacité toute relative, surtout lorsque leurs objectifs sont suffisamment flous pour user les militants à ne rien faire d’inventif qui dépasserait leurs dissensions initiales. Le libéralisme s’est métamorphosé, il a digéré et rendu inopérant ces vieux espaces de résistance.

Alors, que faire ?

Tout d’abord, s’il pleut en ce premier mai, il conviendra de se mettre à couvert sous un parapluie transparent – c’est tellement plus gai qu’un abri opaque ! Inversement, en cas de soleil radieux, un bon chapeau en paille fera l’affaire.
Une fois le défilé rituel effectué fièrement autour du pâté de maison, et l’appétit ouvert par la scansion de slogans hardis et par le chant d’hymnes révolutionnaires enlevés, quelques frites, merguez et bières seront les bienvenues.
Calé, l’esprit bien huilé, tout est envisageable.

Le pouvoir s’est donc déplacé. « Sa véritable structure est devenue l’organisation matérielle, technologique, et physique du monde »* : les dominants se sont organisés pour organiser notre vie, que ce soit à coup de gentrification ou de tonfas sur le coin de la gueule.
Résister, c’est nécessairement développer l’aptitude à se mouvoir.
Échappant aux logiciels de pensées des professionnels de la politique, certaines actions communes, tout d’abord défensives, sont devenues offensives par leur capacité à rattacher la vie à ses conditions d’existence, contre carrant les aspirations du capitalisme. Quel est le principal point commun entre la lutte de Notre-Dame-des-Landes (qui depuis plus de quarante ans…), la situation de la place Tahrir début 2011 et l’occupation du parc Gezi en 2013 ? C’est probablement le plaisir, le plaisir simple du commun, celui où « dormir, se battre, manger, se soigner, faire la fête, conspirer, débattre, relève d’un seul mouvement vital »**. Au sujet des soulèvements amérindiens en Bolivie, Raul Zibechi, un activiste uruguayen écrivait : « Dans ces mouvements, l’organisation n’est pas détachée de la vie quotidienne, c’est la vie quotidienne elle-même qui est déployée dans l’action insurrectionnelle. »
Pour rappel, les anarchistes comme Pelloutier, Griffuelhes et Pouget se sont engagés et ont porté le projet syndicaliste, parce qu’ils estimaient que les vieilles stratégies de lutte ne suffisaient pas ou ne correspondaient plus aux conditions d’oppression qu’ils rencontraient.

Aujourd’hui, nous avons la bouffe, nous avons la musique, nous avons les bras et les savoirs. Si nous faisons un pas de côté, l’éthos syndical se transfigurera en éthos communal. Des situations naissent les solutions : plutôt que d’attendre docilement le prochain premier mai, j’ai ramené ma tente. Il y manque tissu, cordage, poteaux et piquets. Camarade, m’aideras tu à la construire ?

Bernoine

 

* et ** : ces formulations sont empruntées au texte « A nos amis » du Comité invisible.