Dans la valse des boulots d’été, j’ai eu à travailler pour une coopérative agricole. Cette coopérative, c’était, d’après des lignes glanées çà et là sur leur site : « une entreprise dont les statuts coopératifs font que les adhérents sont à la fois actionnaires, clients et fournisseurs ». Coopération ? Actionnaires, clients, fournisseurs à la fois ? Des mots qui chantent l’autonomie ! Mais ne nous arrêtons pas là, on pouvait également lire qu’ils portent « des valeurs qui ne sont pas que des mots : équité, solidarité, engagement, partage, proximité, expertise, innovation ».

En fin de compte, n’est-ce pas ce que nous voulons en grande partie ? Lors de la réunion de formation des saisonnier-e-s, le directeur général allait plus loin. Sans hésitation, il déclamait, des trémolos dans la voix, que la coopérative fournissait des emplois à l’échelle de la région, non délocalisables, qu’elle était gérée par les personnes concernées, et restait indépendante du pouvoir financier qui corrompt le monde ! En somme, il dressait un portrait de son entreprise comme étant en dehors du système puisque coopérative. Il eut d’ailleurs cette savoureuse phrase : « nous ne sommes pas une entreprise capitaliste ».

Oui, ça fait chic : solidarité, équité, gestion par les producteurs. Bon dieu, ça y est, j’y suis ! Cette coopérative, c’était la ligue agraire de Kropotkine[1] ! Sans aucun doute, cette organisation devait être remplie de grand-e-s et glorieus-e-s révolutionnair-e-s, fier-e-s et debout, prônant l’autonomie des campagnes, se battant avec acharnement contre la finance et ses maîtres !

Oui, bon. . . après, je suis allé taffer.

Et là, sans surprise, désillusions. . . On ne parlera pas des saisonnier-e-s ; se casser le dos pour balayer du grain 13 heures par jour, on sert à ça, rien de plus. Mais on peut aborder ce que la belle coopérative nous vend comme avenir : un monde d’expertise et d’innovation, commercialisant pesticides et autres saloperies puisque les coopérateurs en ont besoin. Une coopérative « solidaire »où chacun a droit à la parole, chaque adhérent… mais pas les salarié-e-s, payé-e-s une misère, méprisé-e-s par les chefs et trahi-e-s par les syndicats réformistes. Une coopérative avec un bel organigramme plein de hiérarchie et de petits chefs, afin de bien faire comprendre à chacun où est sa place. Une coopérative qui se complaît dans le modèle productiviste de l’agriculture dominante, qui à l’échelle mondiale affame les uns, détruit le sol des autres pour enrichir certains… Elle s’y complaît, car complice, fait son business là-dedans.

Mais bon, ça reste un progrès, non ? On va pas râler, autant être exploité par le coopérateur du coin que par le banquier de Wall street. On fait ça entre nous, c’est mieux ! Puis, leur activité économique, on en récoltera bien quelque chose, non ? C’est ça, ils agitent leurs jolis mots, on courbe l’échine pour ramasser les miettes. Et il faudrait encore les remercier !

La vérité, c’est que dans notre société, guidée par la compétition et le productivisme, il faut se méfier des vendeurs de pro-grès de tous horizons. L’exploitation n’a de cesse de se cacher derrière de prétendues bonnes intentions : green ou social washing[2], on connaît ! Chaque projet, s’il n’a pas comme objectif final l’émancipation de tous et toutes est à mettre au feu, chaque projet se doit d’être révolutionnaire, c’est-à-dire en volonté de rupture radicale avec tous les systèmes de dominations et d’oppressions. Si ce n’est pas le cas, la digestion des bonnes volontés par le pouvoir ne saura tarder. On ne compose pas avec le vieux monde, on l’abat, c’est tout.

Bon, après. . . c’est vrai, la cantine était top !

Blaireau

1 : organisation théorique ayant pour but la diffusion du mouvement révolutionnaire en milieu rural. Piotr Kropotkine en parle notamment dans Paroles d’un révolté (1885).

2 : procédé de marketing ayant pour but de donner une fausse image écologique (greenwashing) ou social (socialwashing) à la coopérative.