Une horde de vioques est confortablement installée sur les trônes rouges et douillets, ils sont comme au théâtre où se joue l’un des nombreux actes de la fin des temps. Les odeurs se mêlent, eau de cologne, lavande, naphtaline, térébenthine, gomina, pets fermentés et haleines fétides. Les corps lâchent mais n’assument pas. Ces vieilles carnes désirent la vie éternelle, ils jettent leurs minables deniers dans des sociétés commerciales. Ces mages de malheur sont tirés du même moule que les sorcières qui murmurent aux oreilles de Macbeth. Fortune ! Héritage ! Train-train qui déraille. Dames et Seigneurs veulent la vie de château dans un castel construit sur un cimetière. La nuit, ils règlent leur sonotone pour ne plus entendre les traînantes lamentations des morts. Le lendemain, ils se baignent dans une piscine sanglante au centre de leur triste jardin où les mornes fleurs pleurent, ils opèrent quelques brasses malhabiles, s’essuient et avalent les quelques gélules pour réguler leur transit défaillant. Ils sont actionnaires de Sanofi. Ce sont justement leurs laboratoires qui produisent par milliers ces fameuses gélules empoisonnées. ils crèveront par là où ils ont pêché.

Un homme se dresse dans l’absurde assemblée, on lui donne un micro. Posez votre question monsieur, ordonnent les maîtres assis derrière la longue table où gît leur nom. Ils sont vêtus comme Vito Corleone, ils sont Vito Corleone, le sens de l’honneur en moins. Petites lu-nettes noires, cheveux impeccablement coiffés, gominés, air grave. Sinistres automates au cœur de fer blanc, épouvantails affreux à la cervelle de paille, lions pelés au courage disparu. L’homme, donc, se présente : il est ouvrier de Sanofi. Les vieillards soupirent, protestent :encore un prolo qui va nous emmerder ! Il n’a qu’à acheter quelques actions avec l’argent qu’il n’a pas au lieu de venir se plaindre en parlant de ses marmots qui, de toute façon, vireront voleurs ou pire ! « Vous avez le pouvoir de changer les choses ! » leur dit-il. Mais il prêche dans un désert spirituel, il n’est qu’un serf parmi les courtisans qui s’affairent autour d’un porc couronné en or massif. Le manant est même hué. « Cette société c’est les salariés qui l’ont faite ! Sans nous vous ne seriez rien ! ». On lui coupe le micro et le sifflet. L’un des Seigneurs répète inlassablement : cessez, monsieur ça suffit, cessez, pendant que l’autre s’époumone. Des gorilles l’emmènent dans les coulisses de ce monstrueux théâtre. Manque de chance, une journaliste se lève et demande une justification quant à la rémunération du PDG (huit million d’euros, 508 fois le smic) et l’augmentation de ses profits de 15% sur un an. Pourquoi gagne-t-il autant alors que des milliers de salariés sont foutus dehors comme des chiens ? Un autre répond, ce Père Ubu explique que ce n’est qu’une décision du conseil d’administration et il ose ajouter que la rémunération du grand Seigneur est « dans le dernier quartile des dirigeants de la pharmacie dans le monde ». Apaisez vos ardeurs, ce seigneur n’est qu’un petit poisson au royaume des requins ! Nous voilà rassurés.

Achéron