Tout comme Jean Ferrat qui chantait « en groupe, en ligue, en procession », je suis de ceux qui manifestent. Je descends dans la rue quand j’en ai l’occasion. Plus jeune, je n’avais pas la « chance » d’appartenir à une organisation politique. Alors, en libertaire que j’étais, c’est-à-dire deux bons tiers anar et un petit tiers nihiliste, je cherchais vaguement un drapeau noir dans les manifs, et ne reprenait que rarement les slogans. C’est peut-être bête mais entendre des cortèges entiers entonner « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira ! » me fait penser aux supporters de foot et leur « Allez, allez, allez… ».

Et puis, sans trahir mes convictions politiques, j’ai sympathisé avec des militants de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Et là, j’ai compris que les manifs c’était du sérieux.
Tout le monde en rangs serrés derrière la même bannière, et pas de voix dissonantes : on s’en tient tous aux mêmes slogans.
Ce qui était drôle, c’est que d’une manif à l’autre les mots d’ordre pouvaient être radicalement différents.
En effet, certains jours, la LCR devait se démarquer des autres orgas (il fallait donc courir pour distancer le parti qui était derrière ou, au contraire ralentir pour se différencier de celui qui était devant ! ), et d’autres fois, les chefs (enfin ceux qui « savent ») expliquaient que la manif étant « unitaire », il fallait scander « tous ensemble, tous ensemble » le même slogan.
Cela avait le don de me gonfler mais je me disais : « Anars, troskos, cocos, on a un peu les mêmes ennemis ».

Et puis, il y eut cette grande manif à Paris contre le FN.
Tout le monde hurlait : « Et F comme fasciste, et N comme nazi, A bas, A bas, le front national ». Au bout d’un certain temps, n’y tenant plus, j’ai commencé à balancer, d’abord tout bas, ce fameux chant révolutionnaire : « Et Pif, Pifou, Tata, Tonton, Hercule ! Et Pif, Pifou, … ».
Au bout de cinq minutes, j’étais rejoint par une quarantaine de militant strotskistes ; un quart d’heure plus tard, nous étions 150 à entonner cet hymne à la révolte !! Le plus drôle fut de voir Krivine, porte-parole de la Ligue, se retourner ahuri en entendant ses troupes faire preuve d’autant de conviction et d’un réel esprit de corps.

Certains penseront que la critique est aisée et que ce n’était pas très malin de ma part. Mais avouez tout de même que, voir ces militants bon teint dont la plupart me prenait de haut, moi le petit anarchiste, bêler comme des moutons est réconfortant.
Et encore, ils ont eu la chance que je ne mette pas la main sur un mégaphone ! Imaginez alors qu’elle aurait été la tête des dirigeants des autres orgas politiques, car le cortège était « unitaire » !

Alors, méfiez-vous de ce qu’on vous fait crier dans les manifs, ou bien, demandez à un responsable (un chef, un sous-chef, un sous-sous-chef, etc.), lui il saura !

Enfin, peut être. Et Pif, Pifou, Tata, Tonton, Hercule… Et Pif, Pifou, …

JICÉ